Elle détestait lorsque Daemon devait s'éloigner. Elle ne s'était jamais habituée à son absence, qu'elle ait quatorze années ou trente-deux, elle ne pouvait jamais s'y faire. La Targaryen n'avait que trop souffert de ce lit vide et froid, de cette absence chez celui qu'elle aimait depuis qu'elle était en âge de le faire. C'était alors d'autant plus difficile qu'ils étaient des cibles dans Westeros et pouvaient désormais être abattu, la guerre ne ferait aucun cadeau et tant son roi qu'elle étaient visés par les verts. Lorsque Daemon avait parlé de s'en aller pour Harrenhal, la peur l'avait saisie, celle d'un non-retour. Autrefois, même banni elle savait qu'ils se retrouveraient ; mais pas cette fois. C'était d'autant plus effrayant depuis cette guerre et depuis la perte de Lucerys, elle ne pouvait que se demander qui serait le prochain sur la liste.

Pour la reine, il devenait de plus en plus complexe de garder tous ses esprits et de raisonner, si elle s'était imaginée un jour au rang de reine, ce n'était certainement pas dans des conditions si déplorables, à devoir se méfier de chaque bouchée de sa nourriture, chaque goutte d'eau ou de vin qu'elle buvait ni même devoir vérifier son lit qu'un serpent ne s'y trouve pas, devoir être en permanence accompagnée de gardes et tant de détails encore. Elle n'avait pas imaginé perdre son père, sa fille et désormais l'un de ses fils. Et elle ne pouvait se consoler de la perte d'un fils d'Aegon, le meurtre d'un enfant la désolait, qu'il soit Vert ou non.

Alors qu'elle était si bien entourée, elle ne s'était jamais sentie si seule et délaissée, dames de compagnies et gardes ne pouvaient suffire dans ces moments, il n'y avait bien que la présence de celui qu'elle avait tant aimé qui pouvait convenir et l'apaiser un tant soi peu, Daemon avait toujours eu ce talent inégalé pour trouver les mots, pour savoir comment lui parler. Il avait toujours su tirer d'elle ce qu'il souhaitait, elle en avait conscience, même lorsqu'elle n'était qu'une jeune femme et avait pourtant la tête bien faite.

Elle savait qu'elle perdrait pieds si elle se laissait aller à ces mauvaises émotions mais il devenait toujours plus compliqué de ne pas y céder, elle ne voulait pas finir comme ses ancêtres en perdant l'esprit, elle voulait garder cette stature, être la reine qu'on attendait d'elle, être digne, ne pas se laisser abattre. Savoir son époux ici la rassurerait déjà, elle en comptait les jours jusqu'à son retour prévu. Elle était monté ce jour dans Peyredragon, espérant le voir arriver. Le vent marin aidait aussi à se remettre les idées en place, assez pour s'autoriser à fermer les yeux quelque minutes, ses gardes sachant se faire silencieux pour qu'elle n'ait qu'à profiter de la brise et du soleil sur sa peau si pâle.

Une éternité. Depuis son départ, c'était une éternité qui semblait s'être écoulée pour le dragon qui avait volé pour rassembler les armées de son épouse. Une éternité loin des siens, loin de son domaine, loin de la chaleur de son épouse dans des temps aussi sombres. Sans parler du froid qui s'était invité, l'hiver, la neige qui avait ralenti la marche des soldats mais également la capacité de vol de Caraxes. Cela aurait été un odieux mensonge que de nier le fait que l'humeur du consort avait été massacrante. Le rassemblement à Harrenhal n'avait presque rien donné malgré la présence du Nord et du Val. Certes ils avaient repris le contrôle stratégique du Conflans mais ce n'était pas assez. Ce n'était pas suffisant pour apaiser le Targaryen assoiffé de vengeance et de sang. Le sang des Vert.

Ils paieraient tôt, ou tard. Le plus tôt étant ce qui sonnait le plus doux à l'oreille sanguine de Daemon.

Quand les îles sombres de l'archipel de Peyredragon se degagerent enfin de l'horizon, un soupire passa la frontière de ses lèvres. Enfin… Il retrouvait les pierres froides et rassurantes de sa demeure. Caraxes devait le sentir également son vol devint plus énergique, pressé et violent, forçant le vent froid à glisser sur ses ailes. Un grondement brûla la gorge du prince, mais il ne fit que s'aplatir davantage contre son dragon, pour s'exposer le moins possible au froid qui brûlait sa peau.

Il était enfin à la maison. Caraxes fit une fois, puis deux fois le tour de la forteresse. Bien assez pour annoncer sa présence avant de la confirmer dans un cri caractéristique au saurien sanglant. Daemon était rentré, et fidèle à lui-même, il le faisait savoir, ne serait-ce que pour voir le visage de son épouse se relever vers lui, croiser son regard même s’il était loin et en mouvement. Sa morosité, sa colère, tout disparaissait maintenant que la prunelle parme de ses yeux s'était posée sur l’éclat pâle de sa chevelure. A cet instant, même la neige semblait terne à côté de la beauté de celle qu’il avait épousée.

Une dizaine de minutes plus tard, c’était dans l’enceinte de la forteresse que le dragon aux écailles écarlates se posa. Un spectacle auquel les petits gens étaient habitués car le saurien répartit presque aussitôt son dragonnier loin de son dos. Si une grimace avait vaguement pris place sur les traits du roi targayen, il ignora la douleur qui l’avait secoué pour retirer l’écharpe qui avait protégé son visage pendant le voyage. Ses gants furent les suivants à rejoindre les mains d’un serviteur tandis qu’enfin il pénétra dans le château. La chaleur retrouva rapidement le corps de Daemon et il savait qu’il serait de nouveau complet quand sa reine serait au creux de ses bras.